dimanche 18 décembre 2011

Je suis une fiction, et c'est très bien comme ça


C'est drôle, il y a en ce moment une polémique sur la notion même de roman, et je suis dedans. Si on regarde les prix d'automne, il n'y a qu'une fiction, moi-même, le reste, c'est "narrative non fiction", comme disent en leur langage les types du Mayflower. Du coup, on me pose perpétuellement la question de la documentation, soupçonnée d'être immense, alors que c'est un faux problème. On voudrais que mon livre aussi soit de la non fiction. Je résiste.
Je suis intimement persuadé que la littérature doit faire œuvre de regard sur la réalité, et aussi que la fiction a des rigidités qui cachent justement la réalité. Mais faut pas être naïf. J'ai toujours ri du bandeau "d'après une histoire vraie" apposé sur les affiches des hollywooderies, cela me paraissait un effort assez bouffon pour lester une intrigue molle d'un alibi de réel. Et maintenant, on voit apparaître ce bandeau sur des livres de littérature. J'en ris tout autant. Un soupçon règne sur la littérature [sic], mais de ces soupçons qui gouvernent les agents immobiliers : pour louer, il faut un garant, parce que le future locataire tout tremblant qui s'avance avec son désir d'habiter, il ne se suffit pas à lui-même, il lui faut des garants, derrière, qu'on ne verra jamais, mais on croit à leur puissance économique. Mais un livre est un livre, c'est tout. Qu'il soit tiré d'une histoire vraie ne lui apporte rien.
Alors quand d'aucuns affirment que l'on ne peut écrire qu'à partir d'une expérience réelle, car si on écrit sans y avoir été, on n'en a pas idée, et c'est une falsification éhontée de la réalité, cela me paraît être une méconnaissance absolue de : 1. La réalité, 2. La littérature, 3. La notion de vérité, 4. Le psychisme humain. C'est tout pour l'instant.
Dans Vie et Destin, de Grossmann, lors d'une discussion à la russe, arrosée, la nuit, de littérature, un commissaire politique affirme que si Guerre et Paix a de la valeur, c'est que Tolstoï y était, à Borodino. Les autres essaient de le détromper, dates à l'appui. Il insiste, la qualité du livre est une preuve : Tolstoï y était. Il se fâche. Les autres arrêtent de discuter. Il est commissaire politique, tout de même. On va pas risquer dix ans à Magadan pour les dates de Tolstoï.

8 commentaires:

Berthoise a dit…

Ayé, j'ai votre livre. J'ai les vacances pour le lire.
Fiction ou pas, m'en fous.

Anonyme a dit…

..............encore des polémiques...franchement sans intérêt....du temps à perdre et du temps perdu...mais David Grossman du moins ce qu'il a écrit et .."une femme fuyant l'annonce" fiction ou réalité qu'importe me semble digne d'intérêt.quel intérêt ? ..celui que tout un chacun est libre d' éprouver parfois...quand les mots trouvent une résonance....

Anonyme a dit…

Attention coquille : parce que le futur_ locataire. Bien à vous.

Anonyme a dit…

Tempete dans un verre d'eau. De la Badoit, sans doute.

ptit lu a dit…

Attention coquille : on voudrait et non avec un "s".

Je suis d'accord avec votre analyse, votre point de vue et j'apprécie l'exemple final plein d'ironie et de vérité : certains débats n'ont point de fin, ils sont en perpétuelle renaissance malgré la stérélité des échanges qu'ils nourrissent. Ainsi va la vie et la littérature. L'essentiel demeure : le plaisir d'écrire et d'être lu.

Marie-Pierre a dit…

Eh bien oui, je me la suis posée aussi, la question de la documentation ...Et je suis contente que vous y répondiez par la négative ! Je suis en train de finir votre livre. J'en adore le style, et je me délecte des descriptions de combats, de votre aversion pour la sueur, du caracère sale de la forêt équatoriale...J'en prends "plein la vue", mieux qu'au cinéma. Comme dans le dernier film de Mathieu Kassovitz (qui ferait certainement une bonne adaptation de votre roman) ou comme devant une lithographie de Goya. Mais la guerre et ses horreurs font partie intégrante de l'homme (terme générique). C'est bien cela, non ?

Anonyme a dit…

Nous allons faire une animation sur votre livre dans une Université pour tous et sommes tellement enthousiastes qu'on se pose des questions bizarres comme : pourquoi avoir choisi de faire vivre Victorien et Eurydice dans un intérieur si moche ? Combien de temps dure la narration ? Victorien raconte -t-il en plus de son cahier ? Alors ?

jalexis a dit…

Pour l'intérieur, c'est dit à un moment : ils ne veulent rien montrer d'eux mêmes....
Le temps de la narration est un faux temps : en fait il y a deux temporalités floues : avant, et maintenant. A l'intérieur de ces deux ensembles, la temporalité n'est pas précisée.
Je ne comprend spas la dernière question.