vendredi 23 décembre 2011

Le comptoir au pouvoir

Ah les merveilleuses répliques de comptoir! plus isolées elles sont, plus hors contexte et incompréhensibles elles sont, plus on les aime pour leur poésie involontaire, leur philosophie faussement profonde. Le comptoir est l'ouvroir de pensée potentielle d'où jaillissent les plus étranges nouveautés. Tout le monde acquiesce et se renvoie une rasade, et repose sont verre d'un coup sec.
La philosophie de comptoir devient même le think tank officiel des décisions gouvernementales, tant elles ont l'air bien, ces pensées sans contexte. Un échange de tir à la kalachnikov fatal à un policier ? On promet des fusils à pompe capables de stopper une voiture d'une seule balle. Les gardiens d'immeubles ont du mal dans un environnement dégradé ? On leur permet le maniement du tonfa et des gaz incapacitants. Vous entendez à chaque décision le coup de glotte qui fait passer l'apéro, et le choc du verre sur le bois du comptoir ? Il y a de la violence ? On va rajouter de la violence, et ils vont voir qui c'est le plus fort. En plus, ces solutions là elles ont l'air bien, elles font plaisir le temps de les dire, et elles coûtent bien moins cher qu'une vraie solution, qui coûteraient du temps et des gens.
On n'a plus ni l'un ni l'autre, les élections approchent. Il faut s'activer au comptoir.

dimanche 18 décembre 2011

Je suis une fiction, et c'est très bien comme ça


C'est drôle, il y a en ce moment une polémique sur la notion même de roman, et je suis dedans. Si on regarde les prix d'automne, il n'y a qu'une fiction, moi-même, le reste, c'est "narrative non fiction", comme disent en leur langage les types du Mayflower. Du coup, on me pose perpétuellement la question de la documentation, soupçonnée d'être immense, alors que c'est un faux problème. On voudrais que mon livre aussi soit de la non fiction. Je résiste.
Je suis intimement persuadé que la littérature doit faire œuvre de regard sur la réalité, et aussi que la fiction a des rigidités qui cachent justement la réalité. Mais faut pas être naïf. J'ai toujours ri du bandeau "d'après une histoire vraie" apposé sur les affiches des hollywooderies, cela me paraissait un effort assez bouffon pour lester une intrigue molle d'un alibi de réel. Et maintenant, on voit apparaître ce bandeau sur des livres de littérature. J'en ris tout autant. Un soupçon règne sur la littérature [sic], mais de ces soupçons qui gouvernent les agents immobiliers : pour louer, il faut un garant, parce que le future locataire tout tremblant qui s'avance avec son désir d'habiter, il ne se suffit pas à lui-même, il lui faut des garants, derrière, qu'on ne verra jamais, mais on croit à leur puissance économique. Mais un livre est un livre, c'est tout. Qu'il soit tiré d'une histoire vraie ne lui apporte rien.
Alors quand d'aucuns affirment que l'on ne peut écrire qu'à partir d'une expérience réelle, car si on écrit sans y avoir été, on n'en a pas idée, et c'est une falsification éhontée de la réalité, cela me paraît être une méconnaissance absolue de : 1. La réalité, 2. La littérature, 3. La notion de vérité, 4. Le psychisme humain. C'est tout pour l'instant.
Dans Vie et Destin, de Grossmann, lors d'une discussion à la russe, arrosée, la nuit, de littérature, un commissaire politique affirme que si Guerre et Paix a de la valeur, c'est que Tolstoï y était, à Borodino. Les autres essaient de le détromper, dates à l'appui. Il insiste, la qualité du livre est une preuve : Tolstoï y était. Il se fâche. Les autres arrêtent de discuter. Il est commissaire politique, tout de même. On va pas risquer dix ans à Magadan pour les dates de Tolstoï.

dimanche 4 décembre 2011

Autoportrait au trouble de l'attention avec hyperactivité

J'ai trop de choses, je crois. J'avais une télé, l'autre jour. Alors avant d'y aller, machinalement, je passe un coup de tondeuse ; je pense à autre chose, je dois y aller dans le quart d'heure ; et je sens que la barbe ne résiste pas de la même façon. J'arrête brusquement et voit avec horreur la trace de la tondeuse comme un passage de moissonneuse, bien droite, bien nette, bien rase. J'avais oublié de mettre le sabot qui régule la coupe. J'essaie d'améliorer, et la batterie se vide, la tondeuse s'arrête. Je suis donc à dix minute d'une télé, avec un beau sillon net dans la barbe, et une tondeuse à plat à la main. Pas grand chose à faire ni à améliorer. Cauchemar du direct. Je noue une écharpe, espère qu'on me prendra de l'autre profil, et j'y vais. Personne n'a rien remarqué.